• Soeur Emmanuelle : Choisir l'Amour du genre humain

     
     
    Lundi 20 octobre 2008

     

     

     

    Sœur Emmanuelle  Wikipedia.org
     
    Nom Madeleine Cinquin
    Naissance 16 novembre 1908
    Bruxelles, Belgique Belgique
    Décès 20 octobre 2008 (99 ans)
    Callian, France France
    Nationalité Belge
    Profession Religieuse catholique
    Humanitaire
    Distinctions Grand officier
    de la Légion d'honneur


    La religion, c'est l'Homme


    Il ne faut pas se fier aux apparences. Cette voix rapide et flûtée, ce ton chaleureux et parfois cassant, cet esprit vif et caustique appartiennent à une jeune dame de... 86 ans. Madeleine Cinquin - soeur Emmanuelle depuis son entrée dans la communauté de Notre-Dame-de-Sion, en 1929 - a trop parcouru le monde pour s'en laisser conter. On connaît l'action qu'elle mena pendant plus de vingt ans auprès des enfants des chiffonniers, dans les bidonvilles du Caire. Quand elle se lance dans cette aventure, elle a dépassé la soixantaine et elle a, déjà, derrière elle un long parcours d'enseignante entre Turquie, Tunisie et Egypte. En 1993, elle a rejoint une maison de retraite dans le sud de la France. Mais son action au service des enfants continue en Egypte et se développe du Soudan au Brésil, grâce à l'association qu'elle a fondée (Les Amis de soeur Emmanuelle, 15, rue Chapon, 75003 Paris). Jamais en repos, elle vient de publier un livre attachant au titre qui lui ressemble: «Le paradis, c'est les autres» (1). (1) Entretiens avec Marlène Tuininga. Flammarion, 170 p., 79 F.


     

     

    L'EXPRESS: Vous donnez l'impression d'avoir choisi la voie de l'Eglise comme d'autres, aujourd'hui, se font «French doctors».
    SoeUR EMMANUELLE: Je n'ai jamais choisi la voie de l'Eglise, jamais de la vie! J'ai choisi Dieu, ce n'est pas pareil! Les structures de l'Eglise ne m'intéressent absolument pas. Lorsque j'avais 20 ans, il n'y avait qu'une voie pour servir Dieu totalement: la vie religieuse. Quand je suis entrée au couvent, en 1929, aucune de ces oeuvres humanitaires n'existait. J'avais commencé à m'intéresser à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), mais ils me faisaient remplir des dossiers... Je voulais quelque chose de plus vivant!
    - Vous reconnaissez-vous dans l'engagement humanitaire actuel?
    - Je ne crois pas. Même si, aujourd'hui, je n'aurais probablement pas suivi la voie que vous appelez l'Eglise, j'aurais choisi une cause et je m'y serais dévouée. Je voulais faire de ma vie quelque chose qui ne meure pas, quelque chose d'absolu, parce que j'avais le sentiment que tout passe, tout coule, et qu'au milieu il y a un être qui ne coule pas, c'est Dieu. J'ai voulu entrer dans ce fleuve très limpide qui va droit à l'essentiel: l'Homme. Et spécialement l'enfant, qui a besoin pour s'épanouir d'une main qui tienne la sienne.
    - Pourquoi les enfants?
    - Ce sont les êtres les plus faibles. J'ai toujours eu l'impression qu'ils m'appelaient. Ma soeur était mariée, elle avait deux enfants, elle était heureuse en ménage, mais cela ne me paraissait pas suffisant. Moi, il me fallait le monde.
    - Ceux qui s'occupent des enfants ont souvent été des enfants blessés. Est-ce votre cas?
    - Peut-être, après tout... J'ai perdu mon père quand j'avais 6 ans et je crois que j'en suis encore marquée. Cela a produit, chez moi, une sorte de trou, de manque, d'appel à ce qui ne meurt pas, à ce qui ne disparaît pas. La relation qu'on établit avec Dieu peut d'autant plus apparaître comme une réponse à cela qu'elle traverse toutes les dimensions. Elle est constante, verticale et horizontale, car on trouve aussi Dieu dans les êtres. Et particulièrement chez les enfants, victimes, comme j'en ai trop vus, de la famine ou de la société.
    - Votre désir d'absolu, était-ce le besoin de rompre avec la vie bourgeoise?
    - Plutôt l'envie de couper avec la fascination pour la bagatelle: ce qui brille, ce qui est amusant, ce qui est «un peu champagne». A 20 ans, j'avais la passion de vivre. Je n'ai pas goûté à tout parce que, heureusement, ça ne se faisait pas à l'époque. Je n'étais jamais satisfaite. Je voulais toujours une belle toilette, un bijou de temps en temps, une soirée au théâtre ou au cinéma, un séjour en Angleterre. Jamais ce sentiment d'insatisfaction ne me quittait. J'oscillais comme un pendule entre le Seigneur et les plaisirs. Je me suis dit: je ne peux pas continuer, allez hop! je m'en vais pour être enfin libre. Les voeux monastiques me libéraient de tout. Encore mon goût pour la bagatelle ne m'a-t-il pas quittée: il y a quelques jours, j'ai fait arrêter un ami devant... une vitrine de chapeaux. Et ce manteau de vison, à Bruxelles, l'autre fois, à l'aéroport: je suis restée plantée à le regarder et à le caresser pendant que tout le monde me cherchait! Heureusement que je ne me suis pas mariée, j'aurais coûté cher à mon mari.
    - Choisir l'amour du genre humain, n'est-ce pas refuser d'aimer une seule personne?
    - Sans doute. Quand j'étais professeur, un de mes collègues me plaisait énormément. Pour une religieuse, cette situation est plus simple à résoudre que pour un prêtre: on peut toujours écrire à Rome pour être délivrée de ses voeux. J'avais entre 30 et 40 ans - âge redoutable pour les femmes, dit-on. Le choix n'a pas été facile.
    - Comment peut-on être religieuse sans être mystique?
    - Le mysticisme recouvre l'invisible, qui devient visible. Moi qui suis très concrète, j'ai toujours un peu peur d'une exaltation; j'aurais l'impression de me tromper moi-même.
    - Avez-vous pris la place de ces missionnaires dont, enfant, la vie a inspiré votre vocation?
    - Je n'ai pas été rôtie et mangée comme eux! Je n'ai jamais éprouvé les risques ni les souffrances des premiers missionnaires d'Afrique. On dit que j'ai vécu au péril de ma vie chez les chiffonniers du Caire, mais c'est faux! J'ai tout de suite été vraiment très aimée par eux. Je n'ai souffert ni de la peur ni de la faim.
    - Quel est l'avenir de leurs enfants?
    - C'est trop tôt pour le dire. Quand je suis arrivée, en 1971, les parents refusaient que leurs enfants s'instruisent. Il a fallu que nous construisions des écoles en plein bidonville pour les arracher à leur sort. Dans ces années-là, ces petits étaient si sauvages que les maîtres n'en voulaient pas. Il faudra attendre une génération pour savoir comment ces enfants vont évoluer.
    - Votre dernier combat, c'est le Soudan. Le responsable de votre association a été jeté en prison là-bas...
    - C'était l'an dernier. J'ai dû demander à ma provinciale l'autorisation d'y aller. J'ai fait prévenir l'ambassadeur de France que j'allais demander un audience au chef religieux Hassan el-Tourabi, que je connais personnellement, pour lui parler de l'affaire. Ce seul message a suffi pour que notre représentant, Kamal Tadros, un diacre de l'Eglise catholique, soit libéré... Il s'occupe de nos 80 écoles de bambou et de roseaux réparties dans les camps de réfugiés autour de Khartoum, où l'on prend en charge - pour 25 dollars par an et par enfant - la scolarité et la nourriture. Etait-ce par affection pour moi ou pour éviter la médiatisation? Je n'en sais rien.
    - Craignez-vous l'expansion de l'islam politique?
    - Je ne m'interroge pas sur l'islam politique. Je m'intéresse aux gens. Je connais le problème en Egypte. L'Egyptien n'est pas un fanatique, mais il est très fanatisable. Si on donne 100 dollars à un pauvre homme en lui disant qu'il doit jeter deux bombes au nom d'Allah, il croira qu'il accomplit un acte magnifique. Les femmes reçoivent de l'argent pour acheter le voile. Leur nombre est incalculable, alors qu'il y a dix ans les femmes voilées n'étaient qu'une poignée.
    - Les femmes souffrent-elles plus que les hommes de l'islamisme?
    - Pendant mes trente années de présence, je n'ai pas réussi à faire évoluer leur situation. Elles sont considérées commes des esclaves, mariées à 12 ans, battues comme plâtre, résignées... Nous aboutirons quand les petites filles que je suis arrivée à faire scolariser à force de luttes seront plus nombreuses.
    - Et continueront à avoir dix enfants comme avant?
    - Certainement pas. J'ai beaucoup travaillé là-dessus. J'ai tout essayé, mon Dieu, qu'est-ce que je n'ai pas fait! J'ai vu des femmes allaiter un enfant à chaque sein en étant enceinte d'un troisième... Moi, je suis catholique, apostolique et romaine, je ne veux pas être active dans le domaine de la contraception, en m'opposant au pape. Mais les chiffonniers sont des chrétiens coptes, comme leurs médecins. J'ai cheminé avec eux.
    - Peut-on continuer à dire, comme le pape l'a fait en Afrique, que l'usage du préservatif est hérétique?
    - On m'a raconté qu'un missionnaire africain, de passage à Rome, lui avait demandé, un peu gêné, ce qu'il devait faire des tonnes de préservatifs qu'il s'apprêtait à emporter là-bas. Le pape lui a dit: «Mon fils, marchez avec votre conscience...» Le pape ne peut pas dire dans une encyclique qu'il est permis d'utiliser le préservatif, parce qu'alors c'est fini. Mais, dans le cas d'un village où 80% des gens sont malades, le pape ne dira rien...
    - Dans ce cas, pourquoi le dire «en général»?
    - Un jour on comprendra qu'il est le seul du monde à dire cela. La société est tellement obsédée par tout ce qui est sexuel qu'il semble que la vie de l'homme se résume à s'amuser sans avoir d'ennuis. Le pape, lui, dit qu'il faut être heureux le plus possible. C'est une culture de vie qu'il propose. Le bonheur, ce n'est pas de commencer à coucher à 13 ou 14 ans. Le pape n'est pas contre le préservatif - moi non plus - mais il est pour diminuer la nécessité du préservatif. Il faut, comme l'a dit l'abbé Pierre, un peu plus de fidélité pour qu'il y ait un peu moins de sida. C'est là-dessus qu'il faut prêcher. Sur les cas limites, tout le monde est d'accord. On n'est pas des imbéciles, on ne veut pas que tous les hommes meurent!
    - Jacques Gaillot dit cela bien haut. Est-ce un crime de lèse-Eglise?
    - Il n'a rien fait contre l'Eglise: c'est vous, les journalistes, qui l'avez manipulé. Je le connais, j'ai été invitée à sa table. Je l'ai beaucoup apprécié.
    - Avec plus de religieux comme vous ou d'évêques comme Gaillot, y aurait-il plus de vocations et la religion serait-elle plus attirante?
    - Je ne sais pas. La crise des vocations est moins forte dans les ordres cloîtrés. Actuellement, les jeunes ont une faiblesse: ils ne savent pas s'engager pour la vie. Or le prêtre doit gérer le célibat pour la vie. Ce n'est pas simple. Et la jeune fille, si elle est religieuse, c'est aussi pour la vie.
    - Et si on ordonnait des hommes mariés?
    - Ça viendra. En Egypte, j'assistais à la messe dite par des Syriens libanais de l'Eglise orientale: c'étaient des hommes mariés. Dans la communauté charismatique de l'Emmanuel, des jeunes filles sont consacrées pour un an: si elles veulent se marier ensuite, c'est possible.
    - Est-on aussi tolérant que vous dans l'entourage du pape?
    - La curie romaine n'est pas éternelle, le pape non plus. Moi, je suis plutôt pressée, mais la vie m'a appris que c'est une grande erreur. Je ne suis pas inquiète. J'ai vu l'Eglise à travers bien des pays, celle dont on ne parle pas, et qui est formidable.
    - Est-ce plus facile d'agir au nom de Dieu qu'au nom des hommes?
    - Je n'agis pas au nom de Dieu, moi. Religieuse, je dois être ouverte, fraternelle, simple. Pour moi la religion, Dieu, c'est l'Homme. Ce qui m'intéresse, c'est: «Que fais-tu, toi, pour les autres?» et non: «Vas-tu à la messe tous les dimanches?».
    - Vous connaissez la question de Bernard Pivot: «Quand vous arriverez devant Dieu, qu'aimeriez-vous l'entendre vous dire?»
    - Est-ce que tu m'as aimé? Est-ce que tu as aimé l'Homme? Qu'as-tu fait sur terre?
    - Avez-vous attendu la mort toute votre vie, comme l'abbé Pierre?
    - Non, moi, j'ai envie de vivre, mais je serai très contente le jour où je mourrai. J'aime beaucoup de choses dans la vie. Comme les glaces à la vanille; ça amuse quand je dis cela. Sur son lit de mort, François d'Assise demandait un peu de frangipane. C'est très humain, non?

     

    PHOTO: SOEUR EMMANUELLE


    http://www.lexpress.fr/informations/la-religion-c-est-l-homme-l-express-va-plus-loin-avec-soeur-emmanuelle_608610.html


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