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Reine Rania de Jordanie: Construisons des ponts de fraternité entre les cultures
Mardi 11 janvier 2011LA REINE RANIA DE JORDANIE : Il faut construire des ponts de fraternité entre les cultures
De Nature et Culture en Hautes-Terres.
« Les Echos » et « Enjeux-Les Echos » sont partenaires de la Cité de la Réussite qui s'ouvre aujourd'hui et se déroulera jusqu'au 6 avril 2008 au Sénat et à la Sorbonne et coïncide avec le centenaire des « Echos ». Artistes, scientifiques, philosophes, etc. participent à l'évènement ayant pour thème l'engagement. Aujourd'hui, rencontre avec la reine Rania de Jordanie.
Promouvoir le dialogue entre les cultures constitue l'une de vos priorités. Avant votre intervention, dimanche, à la Cité de la Réussite, pouvez-vous nous expliquer le but essentiel de votre engagement : lutter contre l'intolérance, la violence et, au bout du compte, en faveur de la paix ?
Je pense que tout est très lié... Je suis profondément engagée dans la construction de liens permettant une meilleure entente entre les peuples de toutes les cultures, de toutes les religions, de toutes les origines. Il faut montrer à chacun ce que nous avons en commun, souligner que nous partageons les mêmes inquiétudes et les mêmes valeurs. Quelles que soient notre race, notre religion, notre couleur de peau, nos croyances. Car nous devons affronter ensemble un défi global, la montée de l'intolérance et de la violence à laquelle nous assistons partout dans le monde. Moins visible, mais potentiellement plus dangereux, la peur et la suspicion latentes aboutissent au rejet de certains. Or ceux qui ont été rejetés risquent de se fermer aux autres plutôt que de s'intégrer. C'est vraiment un crève-coeur. Car, au bout du compte, nous appartenons tous, d'une certaine façon, à l'Orient et à l'Occident. L'Orient et l'Occident sont voisins. Mais pour être de bons voisins, il ne suffit pas de vivre l'un près de l'autre, il faut apprendre à vivre ensemble, ce qui exige de réels efforts. Il ne suffit pas d'affirmer qu'on est prêt à accepter le multiculturalisme. Il nous faut inviter notre voisin dans nos maisons, dans nos têtes, dans nos coeurs. Cela tient de l'alchimie culturelle : si vous avez confiance en quelqu'un, vous le laissez rentrer chez vous et vous apprenez de lui, mais si vous n'avez pas confiance, vous ne le laisserez pas entrer et vous n'apprendrez jamais rien de lui. La confiance mutuelle et la connaissance vont de pair.
Quelle est la priorité : renforcer le dialogue entre les intellectuels, entre les religions ou entre les leaders politiques ?
Si nous voulons bâtir un monde meilleur, nous avons besoin d'un dialogue approfondi à tous les niveaux de la société : depuis les milieux d'affaires jusqu'aux gouvernements, en passant par la société civile. Il nous faut commencer par construire des ponts de fraternité, poser des vraies questions, savoir écouter les réponses pour étayer la confiance et développer des relations plus étroites. Il est aussi important d'insuffler à nos enfants l'importance de la confiance mutuelle et du respect. Chez eux dans leur famille, comme à l'école, avec leurs professeurs et leurs amis.
Comment promouvoir ces ponts de fraternité ?
Je pense que l'éducation est vitale pour combattre l'incompréhension entre les cultures. Si nous élevons nos enfants en semant dans leur esprit les graines de la confiance, de la tolérance et de la compassion, nous renforcerons, au bout du compte, la famille mondialisée. Et comme notre famille globalisée compte de plus en plus de jeunes, la jeunesse est une part importante de la solution. Il nous faut l'engager dans le dialogue interculturel, lui apprendre ce que sont toutes les religions. Il faut lui apprendre à identifier les signaux dangereux, ceux qui indiquent que la religion est utilisée pour justifier la haine, l'idolâtrie ou la violence. Et puis, il faut créer des opportunités, qu'il s'agisse d'emplois ou d'échanges éducatifs. La jeunesse doit être notre motivation prioritaire car ce sont les jeunes qui sont les catalyseurs du vrai changement.
La mondialisation est-elle un obstacle au dialogue interculturel dans la mesure où elle implique de très nombreuses traditions, cultures et religions, ou est-ce une chance puisqu'elle offre une audience aux dimensions de la planète ?
La mondialisation a permis de faire apparaître pléthore d'outils de communication que nous pouvons manier désormais du bout des doigts. Il suffit de cliquer sur un bouton pour voir ce qui se passe à l'autre bout de la planète. Nous pouvons nous transformer en auteurs de livres ou en producteurs de films que des millions de personnes vont lire, regarder, auxquels ils peuvent réagir. C'est pourquoi j'ai récemment créé une chaîne sur YouTube. C'est une fantastique plate-forme de dialogue et d'échanges. Je demande aux « YouTubers » de se joindre à moi pour briser les stéréotypes sur le monde arabe qui, depuis trop longtemps, ont abouti à calomnier ma région et son peuple. J'espère leur montrer la vérité sur cette partie du monde que je chéris et que j'appelle ma « maison ». Au fur et à mesure que nous échangeons des connaissances, nous forgeons des amitiés, des mains virtuelles se tendent et se serrent, de nouvelles voies s'ouvrent pour mieux se comprendre et s'accepter.
Mais c'est vrai, il existe une autre face, sombre celle-là, des communications globalisées. Trop souvent, les gens accèdent à une information hors de son contexte, ils ont des contacts, sans vraiment communiquer. Ces outils, qui devraient éclairer les esprits, peuvent devenir des engins de désespoir et de haine. Alors que nous devons utiliser, de façon responsable, le cadeau des nouvelles technologies de l'information qui sont à notre disposition.
Les disparités entre les hommes et les femmes, qui existent dans votre région mais aussi dans de nombreux autres pays, contribuent-elles à l'intolérance, à la violence ?
L'inégalité entre les hommes et les femmes est une injustice qui tient à de nombreux facteurs et se dissimule derrière des normes sociales et culturelles dans le monde entier. Elle se manifeste de diverses façons et à différents niveaux, mais les femmes de tous les pays sont confrontées à des handicaps : une faible participation politique, un moindre accès à l'éducation et aux systèmes de santé, l'exclusion du marché du travail, etc. Je crois pourtant que ce serait une tragédie de continuer à assister à l'exclusion de tant de leaders potentiels, de talents de haut niveau, du fait simplement qu'il s'agit de femmes. Réduire le fossé de leadership existant entre les hommes et les femmes est l'un des plus grands défis de ce siècle. Il ne s'agit pas seulement d'une tragédie pour les filles ou les femmes, prises individuellement. C'est une perte terrible pour l'ensemble du monde. Quand la moitié des talents d'une société est négligée et gaspillée, le développement en souffre, le progrès stagne. Tout le monde en paie le prix. Heureusement, les dirigeants commencent à prendre au sérieux la question des disparités entre hommes et femmes. On le voit par exemple au travers des objectifs du Développement du millénaire lancés par les Nations unies et qui se concentrent explicitement sur le problème des femmes, comme l'éducation des filles, l'égalité hommes-femmes, la santé des mères. Mais je crains que nous ayons encore un long chemin à parcourir, aux niveaux national et local, pour résoudre ces problèmes, relever les défis du développement, faire progresser l'égalité devant l'emploi, la maternité, la santé des enfants. Et cela dans de nombreux pays à travers le monde.
En quoi le dialogue interculturel peut-il aider à combattre ces disparités en Jordanie et dans le monde arabe ?
Relever ce défi passe en partie par le dialogue entre les cultures, mais aussi par un dialogue entre les pays, entre les femmes, entre les hommes et les femmes. Il n'existe pas de potion magique contre l'inégalité entre les hommes et les femmes. Il faut plutôt s'attaquer à ses racines et pour cela éduquer « et » les hommes « et » les femmes ; il nous faut aussi éduquer les enfants, filles ou garçons, dès l'école primaire et mettre en lumière des modèles capables de donner espoir et d'inspirer les femmes.
Beaucoup des défis à affronter sont communs aux femmes arabes et aux femmes du monde entier. Mais, bien sûr, nous avons nos propres spécificités, une propension à croire que les femmes doivent être des épouses et des mères, au lieu de chercher à faire carrière. Toutefois, les choses évoluent. Le monde arabe a fait et continue de faire de vrais progrès pour réduire les inégalités dans le domaine de l'éducation et de la santé. Selon la Banque mondiale, le Moyen-Orient est même l'une des régions qui consacre le plus de moyens financiers à l'éducation. Et dans nombre de nos pays, la majorité des étudiants à l'université sont des femmes. Le problème surgit quand ces ambitieuses jeunes femmes, une fois diplômées, ont l'intention d'entrer dans la vie active. Sans être négligeable, la part des femmes qui travaillent est encore peu élevée dans notre région. Nous avons des femmes qui sont ingénieurs, juges, PDG, médecins, professeurs, ministres... Ce sont elles qui fermement, fièrement et tranquillement mettent à mal les stéréotypes. Elles ouvrent ainsi la voie à la prochaine génération. Il faudrait que les médias relayent cette réalité et ne se concentrent pas uniquement sur les aspects négatifs de ces inégalités.
L'opinion publique arabe comprend d'ailleurs de mieux en mieux que notre région ne pourra pas progresser si la moitié de sa population est laissée en arrière. Selon un sondage Gallup, la majorité des hommes dans les sociétés musulmanes reconnaissent qu'on devrait laisser les femmes voter sans les influencer, faire le travail pour lequel elles sont qualifiées et bénéficier des mêmes droits légaux que les hommes. Ce sondage concerne aussi l'Arabie saoudite, le seul pays de la région couvert par l'étude et où les femmes n'ont pas le droit de vote.
Mais, c'est vrai, les lois ne suffisent pas pour provoquer le réel changement dont nous avons besoin afin de relever des défis tenant aux mentalités, à la culture. Et il nous reste un long chemin à parcourir avant de convaincre les législateurs, les gestionnaires et la société dans son ensemble de l'importance de l'égalité hommes-femmes.
Quel rôle spécifique est le vôtre comme reine de Jordanie : expliquer au Proche-Orient les progrès réalisés dans votre pays, expliquer au monde que même dans une région aussi tourmentée que le Moyen-Orient, chacun peut aider les ennemis d'hier et d'aujourd'hui à mieux se comprendre ?
Le travail d'une reine, comme tous les autres métiers, évolue avec le temps. Il y a dix ans par exemple, la nécessité d'un dialogue entre les cultures ne s'imposait pas comme aujourd'hui. Maintenant, elle fait partie intégrante de mon travail. L'un de mes devoirs les plus importants, avec mon mari, est de faire connaître ce que j'aime appeler « l'autre Moyen-Orient ». Pour qu'on ne retienne pas uniquement de cette région, les images négatives qui, trop souvent, passent sur les écrans de télévision. On devrait voir dans la Jordanie une terre dont la culture est riche, le potentiel réel et dont la population aime la paix. Voilà le monde arabe et islamique que je connais et que je chéris.
Je ne pense jamais à mon travail comme un devoir en soi. Je me sens bénie car ma position me permet de rencontrer beaucoup de gens, d'écouter leurs aspirations, de comprendre ce dont ils ont besoin... et de tenter de changer un peu leur vie.
Qu'est-ce qui vous inquiète le plus et quel est votre principal sujet d'espoir ?
Ce qui me préoccupe le plus ? Le conflit qui se poursuit entre les Palestiniens et les Israéliens. Pour les enfants, c'est écrasant. Ce conflit leur vole leur enfance, il étouffe leurs rêves. Nous devons mettre un terme à ce cauchemar. L'heure est venue d'un nouvel engagement, de lever le siège. La tuerie de civils doit prendre fin, des deux côtés. Et les leaders, des deux côtés, soutenus par la communauté internationale doivent engager un dialogue honnête, la seule voie viable vers la paix.
Mon principal sujet d'espoir ? Comme vous le savez sans doute, les jeunes représentent les deux tiers du monde arabe et quand je voyage en Jordanie ou dans la région, quand je rencontre des jeunes de tous horizons, je ne cesse de m'émerveiller de leur énergie, de leur ambition, de leur optimisme. On leur doit tellement d'initiatives innovantes, qui attestent de leur esprit entrepreneurial... Du lancement de radios communautaires au sein des universités à celui d'ateliers de bijoux en passant par la création de sociétés de relations publiques ou celle de médias sérieux, même s'ils sont parfois provocateurs. Je suis très fière de leur volontarisme et de l'existence de nombre d'associations qui prouvent que nos jeunes prennent en main leur avenir individuellement mais aussi l'avenir de la collectivité.
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOISE CROUÏGNEAUAvril 2008
http://91.121.41.10/wiki/index.php/LA_REINE_RANIA_DE_JORDANIE_:_Il_faut_construire_des_ponts_de_fraternit%C3%A9_entre_les_cultures
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