• Le dialogue des cultures, quel sort après Gaza ?

     
     
    Jeudi 30 décembre 2010

     

     

    Le dialogue des cultures, quel sort après Gaza

     

     

    Le dialogue des cultures bat de l’aile. Le bombardement de Gaza et la mort de centaines d’enfants et de civils palestiniens font peser le doute sur ses vertus. Après tout, un tel dialogue n’est pas censé opérer uniquement dans des congrès aseptisés, loin des lieux des conflits. Sa vocation est de substituer le respect de l’autre et son écoute aux armes brandies sur les champs de bataille. Les bonnes volontés n’auront pas eu raison cependant de celles-ci qui obéissent à d’autres motivations.

     

    Il n’est pas question ici de remettre radicalement en cause un tel dialogue, ce serait jeter l’enfant avec l’eau du bain. Il n’en demeure pas moins urgent de le repenser en vue d’en faire un instrument de paix et du moins d’en faire usage avec lucidité.  La décolonisation avait imposé le politique et l’économique comme objets de négociation. De nos jours c’est le culturel qui est mis en avant comme objet de dialogue, l’économique relevant d’un registre qui semble plus technique. Un tel déplacement n’est pas aussi innocent qu’il paraît.

     

     

     

    Le dialogue des cultures produit en effet une impression réconfortante d’égalité entre des nations dont chacune aurait sa personnalité culturelle bien à elle. On n’a plus affaire, dans un tel schéma, à des économies inégalement développées, et encore moins dépendantes au sein d’une économie mondiale hiérarchisée, mais à des cultures et civilisations en pleine possession de leur destin et responsables de leurs actes. Privilégier l’aspect culturel dans le dialogue et in fine l’identitaire, revient à mettre en avant la spécificité des nations les unes par rapport aux autres et à souligner leur différence de nature. La dynamique de la division internationale du travail se retrouve dès lors gommée. Tout acte rebelle envers les grandes puissances « démocratiques », est traité comme produit d’une culture donnée, sans que les liens de celle-ci avec l’environnement international soient pris en considération. Autrement dit, on confine un pays et une culture dans une prétendue spécificité dont ils auront à répondre.

     

     

     

     

     

    On réussit, par un tour de passe-passe, à produire une image inversée de l’ordre réel existant. C’est l’aire du tiers-monde économiquement handicapée qui devient impérialiste en raison de sa culture belliqueuse. Le barbare moderne est du même coup inventé et met en danger la modernité démocratique de l’occident pacifique ! Nous sommes loin de la problématique de l’échange inégal, David s’est métamorphosé par magie en Goliath.

     

     

     

    On décrète ainsi une différence fondamentale pour mieux faire l’éloge de l’occident. On passe sous silence le fait que ces sociétés « culturellement visibles », sont le produit de l’occident, qu’elles sont le produit de sa rationalité et les victimes de sa cupidité. On oublie qu’elles ont perdu depuis longtemps leur virginité, leurs spécificités qui en faisaient des modèles réellement différents de l’occidental. On les déclare victimes de leurs propres cultures pensées comme rétrogrades et conservatrices. L’histoire s’en retrouve reniée.

     

     

     

     

     

    L’occident des droits de l’homme se donne bonne conscience. Les images de la faim et de la mort n’ont rien à voir avec sa civilisation. Les enfants tombés sous les bombes à Gaza relèvent d’un fait culturel nommé Hamas, qui est l’expression d’une religion violente et hermétique à la démocratie. L’islam est pointé du doigt comme religion du voile et du terrorisme. Nulle part les questions de fond sur les intérêts économiques en présence, sur la place des multinationales, sur le complexe militaro-industriel américain, sur le capitalisme tout court, ne sont soulevées à ce sujet. Dans le meilleur des cas, on discute des bons musulmans ouverts à la modernité, et des autres dignes de tous les châtiments. Le capitalisme fait bon usage de son libéralisme et de sa démocratie.

     

     

     

     

     

    D’où l’urgence pour les militants du dialogue des cultures de le recadrer, de le repenser, de le ramener à son contexte. Le dialogue des religions est certes une excellente initiative pour mieux se connaître, mais peut-il résoudre autre chose en dehors de lui-même. Il ne peut en tout cas remplacer la négociation sur le plan économique et la prise en compte des dégâts que la suprématie capitaliste a causés.

     

     

     

    On infantilise des sociétés, on les éconduit en dehors de la modernité en interpellant en elles le religieux quand elles attendent qu’on leur parle des problèmes réels, liés à l’émigration et au développement. Le dialogue des cultures dont l’objectif déclaré est de démentir la thèse du choc des civilisations, finit en quelque sorte par en être l’otage en campant dans le champ culturel. Sa mission est certes de communiquer autour des valeurs que les cultures ont en partage, mais il se doit de mettre le doigt sur la source des problèmes qui est l’inégalité entre les nations. Il se doit de dénoncer les abus et non pas de caresser dans le sens du poil les puissants en vue d’éviter des ruptures. Celles-ci sont là qui menacent d’éclater au grand jour si le statu quo actuel n’est pas remis en question.

     

     

     

    Le dialogue des cultures qui doit se nourrir d’humanisme et de réalisme, n’a d’intérêt qu’en militant en faveur d’une négociation réelle et fructueuse dans l’intérêt des sociétés en voie de développement. Son contenu doit être politique et économique.

     

     

     

    Mohammed Ennaji

    http://www.yawatani.com/politique-internationale/le-dialogue-des-cultures-quel-sort-apres-gaza.html


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