• La nécessité d’un vrai dialogue entre les civilisations (Fondation Res Publica, Chevènement)

     

    La nécessité d’un vrai dialogue entre les civilisations

     

    Le 15 avril 2013, la Fondation Res Publica (pour faire connaissance, voir Présentation de la Fondation Res Publica, par Jean-Pierre Chevènement) organisait un colloque sur le thème  

     

     

    La Charia: qu'est-ce à dire?


     

    Les actes de ce colloque ont été publiés le 5 juin 2013. En voici les titres.

    Accueil de Jean-Pierre Chevènement 

    Accueil de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica

    Pour une herméneutique de la Charia

    Introduction de Sami Nair, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica

    La Charia en dix points… et quelques raccourcis

    Intervention de Baudouin Dupret, directeur du centre Jacques Berque (Rabat), directeur de recherche au CNRS

    De la nature de la Sharia: Loi de Dieu ou loi des Hommes ? 

    Intervention de Naïla Silini, islamologue et professeur de civilisation islamique, Université de Sousse (Tunisie)

    Actualité de la référence à la sharî’a en France et en Europe : controverses, débats et perspectives

    Intervention de Franck Frégosi, chargé de recherche au Centre National de Recherche Scientifique

    Tour de table final

    Difficile d’aller plus à fond sur cette question particulièrement délicate. Avec des intervenants de très haut niveau. Parmi eux, une femme, Naïla Silini, qui fait partie d’un groupe de Tunisiens, auteurs d’une « Etude critique du Coran » en langue arabe. « Nous avons terminé cet ouvrage, qui comprend environ 3500 pages, à la veille de la révolte tunisienne. Avec la montée de l’islamisme, il n’est plus possible d’éditer cette encyclopédie en Tunisie ni en Orient ».

     

    Chevènement Le Mans 280111 002 TVoici les propos de conclusion de Jean-Pierre Chevènement (extraits).

     

    Jean-Pierre Chevènement


    (… ) Mais je constate que le courant fondamentaliste s’est développé et semble l’avoir emporté, en Iran en 1979 et, sous une forme très aseptisée, en Turquie par la voie des élections. Ce qu’on a appelé les « révolutions arabes » met aujourd’hui au premier plan la question de l’islamisme. L’Afrique noire n’est pas épargnée, comme en témoigne l’affaire du Mali. Une chaîne de télévision francophone d’Al-Jazeera va être lancée à Dakar très prochainement.

    Nous assistons à des mouvements, des mutations, dont nous ne sommes pas vraiment maîtres et qui nous interpellent. Un ancien directeur général de la sécurité extérieure, M. Brochand, nous a livré son interprétation : selon lui, l’islamisme est l’une des formes de réaction des sociétés musulmanes, plus particulièrement porteuses de la tradition. Il y a d’autres traditions, chrétienne, juive, orthodoxe… mais l’islam réagit en tant que porteur de la tradition de sociétés souvent antérieures à l’islam lui-même, tradition patriarcale, tradition de l’hétéronomie totale, reposant sur des interdits sexuels extrêmement forts. Cette réaction se manifeste sous différentes formes : l’islamisation des mœurs, en sourdine, l’islamisme politique qui veut conquérir le pouvoir politique par la voie des élections, les différentes formes de salafisme, piétiste ou violent, et puis le djihadisme armé qui s’en prend naturellement aux intérêts de la France, des États-Unis, d’autres puissances européennes ou occidentales, et même – en priorité – à des régimes considérés comme impies (kufr), comme on l’a vu avec l’attentat de Tiguentourine. L’Algérie a payé un lourd tribut au terrorisme.

    Il me semble qu’il faut avoir une lecture politique de tout cela et savoir où on fait passer le trait. En effet, l’islam est une puissante réalité : 1 200 millions d’hommes très divers. Il n’y a pas beaucoup de rapports entre l’islam d’Afrique noire et ce qui se passe en Indonésie, en Malaisie, en Asie centrale, dans l’islam turc, l’islam perse et l’islam du monde arabe. Même dans ce monde arabe, cœur du monde musulman, le Maghreb et le Machrek, les pays du Golfe… sont assez différents.

    La question que je pose est celle de la coexistence pacifique des hommes, au sens générique, bien entendu. C’est une question difficile. Nous avons eu l’idée de ce colloque pour essayer de mieux comprendre ce qui se cache derrière le mot « charia ». Il va falloir faire avec le monde musulman tel qu’il est, avec ses tensions, ses contradictions. J’ai déjà exprimé l’idée que nous ne pouvions pas être indifférents à ce qui s’y passe et à ce que comporte l’islamisme du point de vue politique :

    Celui-ci crée-t-il politiquement des situations irréversibles ? Ouvre-t-il, ou plutôt ferme-t-il, la possibilité d’alternances politiques ? Le problème du statut personnel et particulièrement du statut de la femme – que vous avez traité tout à l’heure, Madame – est au cœur du débat. Ces questions sont devant nous. Ce sont des problèmes qui sont, hélas, à mon sens, loin d’être résolus.

     

    (…) Pour conclure, en présence de M. Baudouin Dupret (qui dirige le Centre Jacques Berque de Rabat), je voudrais rappeler la pensée de celui-ci : Chaque peuple doit prendre appui sur ses propres motivations pour trouver le chemin des valeurs universelles, dans le respect de ce qu’il est, de son « authenticité ». Dans les rapports qu’un pays comme la France peut entretenir avec des nations majoritairement ou entièrement musulmanes, nous n’avons pas à « exporter » la démocratie, que ce soit sur le mode « bushien » ou sur un autre mode, mais nous devons nous tenir fermes sur les valeurs de la République et nous appuyer sur la capacité des peuples, et notamment du peuple tunisien, je le dis en présence de Madame Silini, professeur à l’université de Sousse. Il faut faire confiance et, naturellement, appuyer de notre sympathie ceux qui se battent pour une société ouverte qui ne rompe pas le fil de sa tradition, car chaque pays a la responsabilité de faire sa propre Histoire.

    J’ai entendu ce qui s’est dit tout à l’heure sur les différents niveaux de croyance. Il est vrai que demander aux imams d’enseigner un islam totalement déconnecté des textes « sacrés » n’a pas de sens. Moi-même qui suis, bien que vieux laïque, catholique romain « sociologiquement parlant » (comme aurait dit Jacques Berque), je perçois que la foi de mon Haut-Doubs natal n’a pas grand-chose à voir avec la pensée des théologiens.

    Je reste fidèle à l’idée que, dans les relations internationales, il faut éviter ce qui ressemble à de l’ingérence, il faut respecter la volonté des peuples, ce qui n’empêche pas, au niveau des sociétés civiles, que s’établissent des liens tendant à encourager ceux qui se battent pour les valeurs de liberté et d’égalité.

     

    Hassan Fodha
    Merci, Monsieur le Président, d’avoir organisé cette réunion très intéressante, très utile, très instructive.
    J’ai beaucoup aimé la qualification de la charia, par M. Dupret, de « slogan politique », ce qu’elle est, en effet. En terre d’islam, si vous demandez à un musulman s’il croit en la charia, il répond que la charia, qui est le fait des hommes, est critiquable. En revanche, il croit en l’islam car, pour lui, le Coran n’est pas critiquable. Cette nuance, en terre d’islam, permet de mettre la charia en seconde position par rapport au Coran. C’est bien un slogan politique, la preuve en est que, dans les pays qui ont subi la révolution (Tunisie, Égypte et Libye), on demande aujourd’hui l’inscription de la charia dans les constitutions, non pas au nom de la religion mais au nom de « l’identité ». Par ce mot, la religion est associée au patriotisme. Aujourd’hui, les médias tunisiens et égyptiens sont pleins de chants patriotiques et d’appels à l’identité nationale pour justifier la demande des partis religieux d’inscrire la référence à la charia dans la constitution. Donc la charia n’a pas de définition, surtout juridique, dans le monde arabe et dans le monde musulman. En tout cas, c’est mon point de vue.

    L’utilisation de la charia comme slogan politique dans les pays où il y a eu la révolution, est une manière de rejeter les valeurs « occidentales ». Pour la même raison, en Égypte et en Tunisie, on refuse d’inscrire dans la constitution la référence aux valeurs universelles reconnues. En même temps, en Occident, on fait l’amalgame entre charia et Coran, entre charia et islam, pour démontrer que l’islam n’est pas compatible avec les valeurs républicaines. Deux discours s’opposent : d’un côté on dit que l’islam n’est pas compatible avec les valeurs républicaines, de l’autre on essaie de faire passer le message qu’en terre d’islam on ne reconnaît pas les valeurs universelles. Si nous n’arrivons pas à sortir de ce malentendu, nous allons vers la guerre des civilisations. C’est très grave.

    Jean-Pierre Chevènement

     

    Je crois que vous avez très bien situé les choses : deux fondamentalismes s’opposeraient. C’est une vision que nous devons combattre. Si ce débat, qui a fait naturellement apparaître des opinions diverses, contribue à nous convaincre de la nécessité d’un vrai dialogue entre les civilisations, les cultures, et les nations, il aura eu son utilité.
    Je veux remercier les intervenants, en particulier Mme Silini, venue tout exprès de la Tunisie chère au cœur des Français. Merci de votre concours

    Cet article est le 24ème paru sur ce blog dans la catégorie Laïcité et communautarismes.


    Fondation Res Publica : les Actes du colloque sur le thème de la Charia

     


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