• La campagne contre l' Iran : L'opinion du Prof Yakov M Rabkin (1)

     
     
    Vendredi 8 août 2008


    03-08-2008
    Prof Yakov M RABKIN :

    La campagne contre l'Iran: le lobby sioniste et l'opinion juive




    Publié dans La Revue internationale et stratégique, Paris, été 2008, pp. 195-207.

     

     

    La campagne contre l’Iran : le lobby sioniste et l’opinion juive

     

     

     

    Yakov M. Rabkin, professeur d’histoire à l’Université de Montréal et auteur du livre Au nom de la Torah : une histoire de l’opposition juive au sionisme/

     

     

     Résumé :

     

    Deux allégations formulées à l’endroit du président iranien Mahmoud Ahmadinejad intensifient les pressions que les États-Unis et Isra- l font peser sur l’Iran : il est accusé de nier la Shoah et de menacer de génocide la population israélienne. Souvent, on présente l’Iran comme une nouvelle Allemagne nazie et le président Ahmadinejad comme un nouvel Adolf Hitler. Cet article retrace les origines de ces accusations en mettant en lumière le rôle que joue, dans la formation du discours occidental sur l’Iran, l’amalgame que d’aucuns pratiquent entre les juifs, d’une part, et l’État d’Israël, d’autre part. En terminant, l’article met en garde contre les réactions épidermiques et fait ressortir la nécessité d’agir rationnellement, particulièrement lorsque les Occidentaux ont affaire à des dirigeants qu’ils jugent irrationnels.

     

     

    Deux accusations dominent dans le discours occidental sur l’Iran depuis quelques années. On accuse le président Mahmoud Ahmadinejad de nier la Shoah et de vouloir rayer de la carte l’État d’Isra-l. Les médias répètent souvent ces accusations dans les émissions et les textes consacrés à l’Iran. Ce discours influe sur les décisions politiques, potentiellement graves, que prennent les gouvernants ou leurs représentants. Lorsque le représentant des États-Unis quitte une réunion plénière de l’Assemblée générale de l’ONU, à l’automne 2006, il donne principalement deux raisons pour justifier son refus d’écouter le discours du président iranien : M. Ahmadinejad nie la Shoah et veut rayer Isra-l de la carte. Un an plus tard, le président de l’Université de Columbia réitère les mêmes allégations dans le « discours de bienvenue », plutôt hostile, qu’il adresse au président iranien, invité à parler sur le campus. Ces allégations fournissent une justification morale aux pressions exercées sur l’Iran pour qu’il cesse ses activités nucléaires et elles offrent par conséquent à Isra-l et aux États-Unis un argument convaincant pour la préparation d’une attaque militaire contre l’Iran. C’est pourquoi les deux forfaits que l’on reproche au président iranien méritent un examen attentif.

    Cet article se propose de retracer les origines de ces accusations, sans pour autant discuter de la personne du président iranien ni, encore moins, de ses intentions. Cet article ne traite donc pas de la politique étrangère de l’Iran, mais plutôt de quelques particularités du discours occidental sur l’Iran. Il s’intéresse aux propos de ceux qui présentent l’Iran comme la nouvelle Allemagne nazie et Mahmoud Ahmadinejad, son président, comme un nouvel Adolf Hitler. À preuve, la représentation que l’on donne couramment aujourd’hui de l’Iran, à savoir que le pays et son président représenteraient une grave menace pour le monde entier. Ces déclarations sont à l’origine des pressions exercées sur l’Iran pour que le pays mette fin à ses activités d’enrichissement de l’uranium, même s’il a signé le traité de non-prolifération (TNP) et que ses représentants ont affirmé à de nombreuses reprises qu’ils n’avaient pas l’intention de se doter d’armes nucléaires.

    Les pressions auxquelles est soumis l’Iran se fondent largement sur les préoccupations affichées par le gouvernement américain concernant la sécurité d’Isra-l. Les deux accusations reflètent l’amalgame assez courant entre l’État d’Isra-l, d’une part, et les juifs, d’autre part, ainsi qu’entre l’antisémitisme et l’antisionisme. Cette confusion politiquement utile étouffe depuis longtemps le débat politique sur Isra-l et la Palestine dans les pays occidentaux. Ceux qui se livrent à des critiques contre Israël se voient souvent qualifiés d’antisémites, même s’ils sont juifs. On n’hésite pas à recourir aux insultes ad hominem: l’ancien président Jimmy Carter et le pasteur Desmond Tutu comptent parmi les cibles les plus illustres de ces accusations, qui commencent à avoir des effets sur les relations internationales à plus grande échelle.

     

     Négation de la Shoah

    D’après la BBC, M. Ahmadinejad s’est exprimé de la manière suivante : « Si les pays européens insistent sur le fait qu’ils ont massacré des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale… pourquoi n’offriraient-ils pas au régime sioniste un territoire en Europe ? » Bien sûr, il s’agit à l’évidence d’une provocation, pourtant ni cette affirmation ni les nombreux autres propos du président iranien que l’on pourrait citer n’indiquent qu’il ait eu comme but de nier le génocide nazi. Il utilise plutôt le souvenir de la Shoah pour attirer l’attention sur le sort des Palestiniens et pour tester les limites de la liberté de parole que réclame l’Occident. Il met en relief le fait que l’on peut publier en Occident des caricatures de Mahomet, de Jésus ou de Moïse tandis que dans bien des pays européens il est interdit par la loi de s’interroger sur la réalité de la Shoah ou de s’en moquer. Il montre que la Shoah a été transformée en objet sacré.

    Le concours de caricatures sur la Shoah organisé en Iran visait justement à souligner cette sensibilité particulière et, comme on aurait pu le prévoir, l’exposition a provoqué une réaction furibonde de la part d’Isra-l et de nombreux pays occidentaux. C’était précisément là l’effet escompté par le président iranien. Certaines caricatures étaient franchement antisémites et elles s’accompagnaient d’une iconographie imagée empruntée à l’arsenal antisémite européen, que des médias musulmans diffusent régulièrement. D’autres caricatures pouvaient être considérées comme révisionnistes, voire négationnistes. Peut-on pour autant en conclure que le président iranien même nie la Shoah?

    Il proteste, certes, contre les conséquences de la formation de l’État sioniste sur les Palestiniens (musulmans, chrétiens, ainsi qu’un certain nombre de juifs non et anti-sionistes), qui ont dû payer le prix d’un crime commis par les Européens. Bien qu’il soit ouvertement antisioniste, M. Ahmadinejad précise souvent qu’il n’est pas antisémite. La présence de six rabbins barbus et vêtus de noir à la conférence intitulée « Bilan de la Shoah, une vision d’ensemble », qui s’est tenue à Téhéran en décembre 2006, a donné au président iranien l’occasion de dire encore une fois qu’il n’était point antisémite. Les rabbins antisionistes ont maintes fois répété que la Shoah était un fait historique indiscutable et que parmi eux plusieurs avaient perdu des parents durant la Shoah. L’un d’entre eux, le rabbin Y. D. Weiss, a ajouté qu’il n’était pas allé à Téhéran pour donner du crédit à la négation de la Shoah : il était venu expliquer la distinction à faire entre sionisme et judaïsme, entre la Shoah et les bénéfices qu’en retirent le mouvement sioniste et l’État d’Israël. Selon le rabbin, M. Ahmadinejad « n’est pas l’ennemi du peuple juif. Il ne l’a jamais été. C’est un homme très croyant. Il respecte le peuple juif et le protège en Iran, mais si les sionistes continuent à le décrire comme un ennemi, il a prévenu qu’il pourrait alors, que Dieu l’en garde, devenir un ennemi. »

    Selon l’agence officielle de presse iranienne IRNA, M. Ahmadinejad a en outre déclaré que « les êtres humains prudents et justes ne blâmeraient pas les juifs pour les crimes commis dans les territoires occupés par le régime sioniste illégitime et par ses partisans ». En Iran, où ils vivent depuis des milliers d’années, les juifs continuent à pratiquer leur religion sans trop d’ingérence de la part des autorités gouvernementales. Or, si M. Ahmadinejad avait été antisémite, n’aurait-il pas commencé par harceler les juifs de son pays, avant de défier la superpuissance de la région, dotée de l’arme nucléaire ?

    Cependant, notons-le, la conférence de Téhéran mise sur pied par M. Ahmadinejad n’avait pas comme objectif de contribuer à la recherche historique. Elle avait des visées politiques évidentes, puisqu’on a refusé d’accueillir plusieurs délégations de survivants du génocide nazi, qui avaient demandé à y participer, ainsi que des chercheurs qui désiraient y présenter leurs travaux. L’Iran a même refusé d’accorder un visa à Khaled Mahameed, Israélien palestinien qui a fondé le premier musée arabe de la Shoah. Parallèlement, parmi les invités se trouvaient des personnes qui, comme le Français Robert Faurisson, étaient accusées de négationnisme ou de vouloir revoir à la baisse le nombre des victimes du génocide nazi.

    Si le président iranien utilise ouvertement la mémoire de la Shoah à des fins politiques, il n’est pas le seul à le faire ni le premier. Selon Moshé Zimmermann, professeur d’histoire allemande et intellectuel bien connu tant en Isra-l qu’en Allemagne, « la Shoah est un événement souvent utilisé. Si l’on était cynique, on pourrait dire que la Shoah est l’événement historique le plus utilisé pour manipuler l’opinion publique, particulièrement chez le peuple juif lui-même, à l’intérieur et hors d’Isra-l. Dans la vie politique israélienne, la Shoah est invoquée pour démontrer qu’un juif désarmé équivaut à un juif mort. » Plus récemment, le sous-ministre israélien de la Défense Matan Vilnaï a eu recours à ce terme pour agiter contre les Palestiniens de Gaza la menace d’une destruction totale. Ce glissement dans l’usage du terme Shoah semble constituer un précédent discursif.

    La négation de la Shoah paraît exceptionnellement grave. Quelqu’un qui nierait les pogroms de Kichinev de 1903, ou le massacre de centaines de milliers de juifs en Ukraine au XVIIe, ou encore l’expulsion des juifs d’Espagne au XVe siècle n’attirerait pas plus l’attention qu’un membre de la Flat Earth Society (organisation qui prétend que la Terre est plate). C’est non seulement l’ampleur de la tragédie, mais aussi l’usage qu’on en fait à des fins politiques, procédé décrié par Moshé Zimmermann et par beaucoup d’autres juifs, qui font de la Shoah un phénomène unique en son genre.

    Un ancien ministre israélien de l’Éducation affirme que « la Shoah n’est pas seulement le fruit de la démence d’un État, qui a eu lieu une seule fois et qui est révolue, mais bien une idéologie qui n’est pas morte, et encore aujourd’hui le monde devrait s’excuser des crimes commis contre nous ». En plus de contribuer à légitimer le caractère sioniste d’Israël -- État du peuple juif plutôt qu’État appartenant à tous ses citoyens -- la Shoah a été un excellent moyen de bénéficier de l’aide fournie par les pays occidentaux. Un parlementaire israélien n’a-t-il pas déclaré, tout à fait ouvertement ?

    Même les meilleurs amis d'Isra-l se sont abstenus de donner aux juifs européens une aide substantielle et ont tourné le dos aux cheminées des camps de la mort [...]. C'est pourquoi tout le monde libre, particulièrement de nos jours, doit démontrer sa repentance [...] en procurant à Isra-l une aide diplomatique, défensive et économique.

    L’industrie de l’Holocauste, ouvrage de l’intellectuel américain Norman Finkelstein, renferme de nombreux documents sur la manière dont le génocide nazi a été exploité à des fins politiques. Le souvenir de la Shoah sert notamment à faire taire les critiques et à susciter la sympathie envers cet État qui se présente, depuis la Déclaration d’indépendance, comme l’héritier des six millions de victimes. Ce fut le cas en 1948, et tout particulièrement en 1967 lorsque le gouvernement d’Isra-l a sonné l’alarme en évoquant l’imminence d’un second génocide, même si les recherches historiques effectuées depuis lors montrent que les généraux israéliens n’avaient jamais douté de leur victoire. Ce recours au spectre de la Shoah a été utilisé sciemment pour justifier l’attaque préventive contre les États arabes voisins, en juin 1967.

    Ces événements encouragent les juifs à embrasser l’idéologie sioniste, à soutenir l’État d’Isra-l considéré comme une réparation pour le sort tragique des victimes de la Shoah. En renforçant le lien idéologique entre la Shoah et l’État d’Israël, on affirme que la survie des juifs ne peut être assurée par les États libéraux, mais uniquement par l’État sioniste. Ce fut un symbole fort quand le premier astronaute israélien, descendant d’une famille de survivants du génocide nazi, emporta avec lui un souvenir de cette époque dans la navette spatiale américaine : un paysage lunaire dessiné par un adolescent dans le camp de concentration de Theresienstadt. Le message était celui de la renaissance du peuple juif, de la fierté d’appartenir à l’État d’Isra-l après l’horreur de la Shoah.

    La mention de la Shoah permet également de souligner l’importance et la légitimité du recours aux armes. Alors qu’ils participaient à une foire aéronautique en Pologne, trois avions de chasse israéliens frappés de l'étoile de David et pilotés par des descendants de survivants de la Shoah ont survolé l'ancien camp d'extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau tandis que deux cents soldats israéliens les observaient à partir du sol. Commentant cette manifestation, un pilote israélien a exprimé ainsi sa confiance en la force armée: « C'est un triomphe pour nous. Il y a soixante ans, nous n'avions rien : pas de pays, pas d'armée, rien. Maintenant nous arrivons ici à bord de nos avions de chasse. »

    C’est précisément ce lien entre l’État d’Isra-l et la Shoah, plutôt que le génocide perpétré par les nazis, que M. Ahmadinejad considère comme un « mythe ». Cet usage du terme « mythe » est assez courant ; son emploi par le président iranien ne représente pas plus une négation de la Shoah que l’ouvrage du respecté historien israélien Zeev Sternhell intitulé The Founding Myths of Zionism1 ne constitue « un déni du sionisme ».

     

     Appel à l’anéantissement des juifs d’Isra-l


    Les médias occidentaux, dont Le Monde daté du 27 octobre 2005, annoncent que le président iranien a déclaré qu’« Israël doit être rayé de la carte ». Or, les experts s’entendent pour dire que le président iranien, lors de son discours, n’a prononcé ni le mot « rayer » ni le mot « carte ». Il a plutôt repris l’une des déclarations de l’ayatollah Khomeyni : « Esrâ’il bâyad az sahneyeh roozégâr mahv shavad », ce qui signifie « Isra-l doit disparaître de la page du temps ». Nous avons puisé cette phrase dans un site Web de l’opposition iranienne à l’étranger dont on ne peut pas soupçonner de vouloir embellir les paroles du président (2). Dans un premier temps, une traduction erronée, selon laquelle la phrase signifiait qu’Isra-l devait « être rayé de la carte », a circulé dans le monde entier. Toutefois, certains instigateurs israéliens de la campagne contre l’Iran ont par la suite cessé discrètement de l’utiliser. Ainsi, un rapport sur l’Iran publié en 2006 par le Jerusalem Center for Public Affairs (JCPA), groupe de réflexion (think tank) particulièrement actif dans la campagne contre l’Iran, a omis la traduction inflammatoire, tout en attribuant au président iranien « une intention génocidaire ». Cet adjectif revient de plus en plus fréquemment dans les publications sionistes récentes : le même rapport fait aussi référence à « la guerre génocidaire manquée menée contre Isra-l, en 1948, par plusieurs États arabes et par les Palestiniens ».

    Pourtant, selon les propos du ministre des Affaires étrangères de l’Iran, M. Manouchehr Mouttaki (tels que les rapporte un autre site de l’opposition au régime actuel en Iran), son pays « ne projette de détruire aucune nation, ni aucun pays ». Il ajoute que « tout enfant allant à l’école sait qu’il est impossible de rayer un pays de la carte (3) ». L’agence de presse iranienne officielle IRNA indique que M. Ahmadinejad « a appelé à la nécessité de résoudre les problèmes mondiaux,  notamment le problème palestinien, au moyen du dialogue ». Sur les ondes du réseau ABC News, il appelle à résoudre la situation en Palestine en conformité avec la charte des Nations Unies et à laisser aux Palestiniens le droit de décider de leur avenir en proposant de tenir « un référendum basé sur le droit international, auquel participeraient tous les Palestiniens, musulmans et juifs ». Dans la même interview, Ahmadinejad réitère son affirmation selon laquelle « nous nous efforçons d’éviter tout conflit ou effusion de sang. Étant opposés aux conflits de toute nature, nous avons souvent répété que l’on peut résoudre les problèmes du monde par le recours au dialogue, à la logique et à l’amitié. Il n’y a nul besoin d’utiliser la force. »

    Curieusement, alors que certaines positions de M. Ahmadinejad font la une des quotidiens, on accorde peu d’attention aux propos de l’ayatollah Khamenei, qui détient le véritable pouvoir en Iran et qui a déclaré que son pays appelait à la normalisation des relations avec Israël si celui-ci accepte la proposition dite des deux États formulés par la Ligue arabe en 2002, puis de nouveau en 2007.

    Par ailleurs, la fameuse phrase prononcée par M. Ahmadinejad s’inscrit dans une série de comparaisons historiques. Selon l’Associated Press, le président iranien a déclaré également : « Le régime sioniste sera bientôt effacé, de la même façon que l’a été l’Union soviétique, et l’humanité sera libre. » En réalité, il s’attend à ce qu’Isra-l se désagrège pacifiquement, sous le poids de ses contradictions internes, comme cela a été le cas de l’URSS, dont le déclin a été pacifique. Comme la disparition de l’Union soviétique n’est pas attribuable à l’utilisation de l’arme nucléaire, le président iranien ne propose pas d’utiliser la force armée pour précipiter la fin de l’État d’Isra-l. De toute façon, cela ne serait guère sérieux, car on estime qu’Isra-l bénéficie d’une supériorité militaire incontestable dans la région. M. Ahmadinejad prévoit que, de même que le communisme a perdu sa légitimité et s’est évanoui, le mouvement sioniste disparaîtra un jour. Dans le même discours, il mentionne d’autres phénomènes historiques, comme la chute du régime du Shah, ou encore la disparition des pharaons en Égypte, marquant la fin de régimes qui apparaissaient alors comme invincibles et éternels. Si le communisme en URSS et le régime du Shah ont disparu sans que la Russie et l’Iran aient été rayés de la face de la Terre, argue Ahmadinejad, il en ira de même du mouvement sioniste : sa disparition n’est pas synonyme de la destruction de l’État d’Isra-l ou du peuple juif. Commentant le discours du président iranien, Jonathan Steel, journaliste au quotidien britannique The Guardian, est d’avis qu’il n’exprime rien de plus « qu’un vague souhait pour l’avenir (4) ». En fait, ce que souhaite le président iranien est un changement de régime en Israël, et non l’élimination physique de sa population. Dans ce domaine, le gouvernement de G.W. Bush a certes pris les devants en s’efforçant de remplacer les régimes politiques qui ne se pliaient pas à ses attentes, par exemple en menant une guerre en Irak, tout comme ses prédécesseurs l’avaient fait, ou tenté de le faire, à Cuba et au Chili.

    Même quand les militants sionistes de la campagne contre l’Iran ont abandonné l’allégation basée sur la fausse traduction et décriée par l’ambassadeur iranien aux Nations Unies sur les ondes de CNN, presque tous les membres du Congrès des États-Unis (411 en tout) ont condamné le président iranien pour « avoir voulu inciter au massacre massif des juifs d’Isra-l ». Le démocrate Steve Rothman maintenait, à l’été 2007, que l’Iran avait menacé « de rayer Isra-l de la carte ». Shimon Peres, actuel président de l’État d’Isra-l et lauréat du prix Nobel pour la paix, avertissait que « l’Iran aussi pourrait être rayé de la carte ».

    Ne pourrait-on rapprocher ce souhait des prières « pour l’anéantissement pacifique de l’État sioniste » prononcées régulièrement par les juifs antisionistes, groupe dont sont issus les rabbins qui ont donné l’accolade au président iranien, à la conférence de Téhéran ? En fait, on trouve fréquemment dans la liturgie juive le voeu de voir disparaître ceux qui ne reconnaissent pas Dieu ou qui commettent des actes malveillants. Par exemple, pendant les offices célébrés lors du Nouvel An juif (Rosh Hashanah) et de Kippour, on rencontre l’expression « ou’malkhout ha’reshaa koula ké’ashan tikhleh » (et le royaume du Mal périra comme la fumée). Une fois de plus, le sens littéral de cette citation pourrait renvoyer à des destructions et à des massacres, cependant son sens réel est que tous les actes malveillants, perpétrés à quelque endroit que ce soit, devraient disparaître définitivement. Bien entendu, on n’envisage de tuer personne, certainement pas des milliers d’innocents.

    Mais si on voulait diaboliser les juifs, on pourrait prendre cette prière à la lettre. Certains Israéliens antireligieux ont même interprété cette prière traditionnelle comme un appel à la destruction de la majorité athée de la population juive d’Israël. La tradition juive abhorre les lectures littérales des textes sacrés ; elle se fie plutôt aux interprétations rabbiniques, même s’il arrive que celles-ci paraissent parfois forcées. Par exemple, depuis toujours les rabbins considèrent l’adage biblique « oeil pour oeil » (la loi du talion) comme l’obligation d’offrir un dédommagement; on n’incite pas la victime à se venger en crevant l’oeil de celui qui a crevé le sien. Ces fragments choisis de la liturgie juive constituent un exemple de la rhétorique religieuse qui se fonde souvent sur de puissantes métaphores.

    Le président iranien, inspiré par sa religion, prédit la fin du régime sioniste, mais il n’annonce pas le massacre des habitants d’Isra-l. Même si l’Iran n’hésite pas à fournir des armes aux chiites combattant en Irak et au Liban, la dernière attaque de l’Iran contre un autre pays remonte à plus de trois siècles. En outre, le président iranien est loin d’avoir le dernier mot dans son pays il doit composer avec le complexe équilibre des pouvoirs de cet État mi-théocratique, mi-démocratique. Par ailleurs, ses excès rhétoriques ont été dénoncés par un certain nombre d’intellectuels iraniens. Les médias ont rapporté aussi que des groupes d’étudiants avaient protesté à Téhéran contre la tenue de la conférence sur la Shoah et brûlé en effigie le président iranien.

     

     

    (à suivre)


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