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    Vendredi 19 mars 2010

     


    Carte des pays dont la communauté musulmane représente plus de 10 % de la population. En vert, les pays à majorité sunnite et en brun, ceux à majorité chiite, wikipedia.org




    Abdellah Boudami  

    La carte blanche publiée dans
    Le Soir du 5 mars par un collectif de signataires dont le but est de discréditer l’arrivée de Fatima Zibouh, une jeune universitaire voilée, au conseil d’administration du Centre pour l’égalité des chances, est susceptible de constituer un cas d’école inespéré pour une étude du discours sur les minorités. En effet, quiconque se penche un tant soit peu sur ces questions peut d’emblée noter que des invariants se dessinent au fil de l’Histoire. Certes, comparaison n’est pas raison, mais certaines similitudes sont troublantes, et méritent d’attirer l’attention. C’est très probant si l’on s’essaye à comparer, par exemple, le discours sur le juif il y a un siècle ou deux, et le discours sur le Musulman depuis quelques années. Tentons de cerner certains de ces invariants.


     


    Tout d’abord, la catégorie du double visage et de la double allégeance est toujours en filigrane du discours sur les minorités. Il est reproché à l’individu qui en fait partie d’avoir une identité en porte-à-faux, floue, ambiguë, et d’être par conséquent indigne de confiance, même, ou surtout, s’il montre patte « blanche » (veuillez excuser le mauvais jeu de mot). On s’en aperçoit en lisant Bruno Bauer et sa Question Juive (1843), qui posait la question de savoir si les juifs peuvent réellement être citoyens en Allemagne, et y répondait en soutenant que chez le juif, « son essence juive et restreinte l’emporte toujours pour finir sur ses obligations humaines et politiques ». On sait la réponse cinglante que Marx lui réserva l’année suivante dans ses Commentaires sur La Question Juive : « Nous n’affirmons pas qu’ils ont le devoir d’abolir leur limitation religieuse dès qu’ils abolissent leur limite profane. Nous ne transformons pas des questions profanes en questions théologiques ». Un autre fameux exemple est celui de l’abbé Grégoire qui écrivit, pour un concours proposé par la Société Royale des Sciences et des Arts de Metz qu’il remporta en 1788, que « le Juif, répandu partout et fixé nulle part, n’a guère que l’esprit du corps, qui n’est pas l’esprit national… c’est toujours un Etat dans l’Etat ! » (1). Car évidemment, cette double allégeance entraîne la possibilité d’une cinquième colonne, d’une armée de déloyaux ingrats. La carte blanche mentionnée plus haut ne fait rien d’autre en distillant le doute et la suspicion sur Fatima Zibouh, qui « au-delà de ce qu’elle a ‘sur la tête’ » aurait aussi quelque chose « ‘dans la tête’ », quelque chose d’inavouable et qu’il faut révéler. D’ailleurs, ne tente-t-elle pas de « brouiller les cartes par un discours très  ‘à gauche’ sur la question sociale » ?

     


    Deuxième catégorie, la plus évidente, celle du complot international. Elle s’accompagne invariablement du même procédé rhétorique : l’essentialisation. En effet, afin de pouvoir unifier tous les individus d’un groupe, au-delà d’une diversité trop encombrante dans le cadre d’une démonstration simpliste, il convient de faire parler ces individus non pas au travers de leurs propres discours particuliers, par ailleurs vus comme hypocrites et indignes de confiance, mais au travers d’une identité totalisante, unique, monolithique… et terrifiante. L’équation de l’essentialisme est d’une simplicité déroutante : cet individu est ce groupe, ce groupe est cette religion, cette religion menace le monde. Ainsi, pour prendre l’exemple extrême qui est celui de l’idéologie nazie, le juif, quel qu’il soit, où qu’il soit, participe du même complot mondial : socialiste à Saint-Pétersbourg ou banquier à New-York, c’est son identité juive qui prime, et c’est tout naturellement qu’il participe à une tentative mondiale judéo-bolchévico-maçonnique de contrôle planétaire. On retrouve cette équation dans la carte blanche de Nadia Geerts et consorts : Fatima Zibouh, ce n’est pas avant tout Fatima Zibouh, mais c’est un groupe, une essence : c’est le Cercle des Etudiants Arabo-Européens, donc c’est Tariq Ramadan, donc c’est les Frères Musulmans. Or ces derniers ont pour objectif «  de rendre illégitimes puis de détruire la morale et l'éthique occidentale afin d'installer un califat musulman mondial ». Fatima Zibouh a par conséquent des projets cachés derrière la tête, dont le moindre n’est pas celui de détruire puis de contrôler l’Occident… Tremblez braves gens !

     


    Cela nous mène, last but not least, à une dernière catégorie, liée aux deux premières : le jugement à l’emporte-pièce, la diffamation sans preuves, sans éléments, sans analyses rationnelles, accompagnés de la caricature. Il est en effet clair que les rapports de force, d’une société donnée à un moment donné, permettent de dire des choses à propos d’une minorité qu’on ne se permettrait pas envers d’autres groupes ou dans un autre contexte. C’est frappant en ce qui concerne l’affaire Dreyfus à la fin du 19ème siècle. L’antisémitisme imprégnant la presse et l’armée de l’époque ont permis à l’encontre des Juifs des actes et des paroles totalement inimaginables aujourd’hui. Sur base d’aucuns éléments tangibles, Dreyfus fut dégradé et envoyé au bagne. Les plus grands délires circulaient alors, sans vérification, sans débat rationnel. Les rumeurs se substituaient aux faits. Les caricatures étaient monnaie courante. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le Jyllands-Posten, quotidien danois d’extrême-droite, qui avait publié dans les années 1920-30 des caricatures de Juifs, dans le contexte et avec les conséquences dramatiques que l’on sait aujourd’hui, est ce même quotidien qui a publié il y a peu les caricatures du prophète de l’Islam, avec le soutien de toute une frange « progressiste » dont on retrouve certains représentants dans le collectif signataire de la carte blanche du 5 mars. Celle-ci, d’ailleurs, perpétue à l’égard des musulmans ces procédés que l’on a infligé aux juifs : fausse est l’allégation de la participation de Tariq Ramadan à une émission soutenant Ahmadinejad (une émission iranienne, certes, mais Ramadan n’a eu de cesse de critiquer le régime iranien), mensonger est le récit du « commando de 80 Frères Musulmans faisait irruption dans une mosquée de Drancy, proférant des menaces à l'adresse de son imam » (il s’agissait de fidèles de la mosquée ayant, dans le plus grand calme et sans menaces aucunes, pris la parole lors d’un débat duquel, de l’aveu même de l’imam de Drancy, celui-ci était absent). Toute proportion gardée, Fatima Zibouh est notre Alfred Dreyfus contemporaine. Elle a gravi comme lui les échelons du mérite et du travail, et comme lui elle dérange par une visibilité auxquels certains ne parviennent pas à se faire. Comme lui elle se trouve en butte à une campagne de calomnies visant à la discréditer. Comme lui, est visée à travers sa personne toute une communauté, sans prise de conscience des conséquences très graves qu’un tel comportement peut engendrer.

     

    Face aux relents de l’Histoire qui nous submergent à nouveau, quel Emile Zola aura le courage de prendre la plume et de nous faire vibrer d’un « J’accuse ! » salutaire ?

     

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    1. Cité dans le livre d’Esther Benbassa, La République face à ses minorités. Les Juifs hier, les Musulmans aujourd’hui, Mille et une nuits, 2004, p.136

    Image: Dessin de la dégradation de Dreyfus de L. Royer paru dans le Journal Illustré

    michelcollon.info

    http://www.michelcollon.info/index.php?view=article&catid=6&id=2596&option=com_content&Itemid=11


    Lire aussi mon article,
    http://r-sistons-actu.skynetblogs.be/archive-day/20100210
    Le nouvel antisémitisme: Contre les Arabes, et souvent de leurs frères sémites juifs !


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    Vendredi 19 mars 2010

    jeudi 18 mars 2010

    L’Europe et l’Islam : Le malentendu comme certitude

     

     

    Allah en arabe




     

    La visibilité des musulmans semble poser la question identitaire en Europe. Discrimination, incompréhension, voire racisme sont le lot quotidien d’humiliations entretenues par le monde politique et celui des médias.

    Seul, le monde associatif et universitaire résiste à cette dérive dangereuse pour la paix en Europe et… ailleurs.

    En Europe, le débat sur les questions identitaires et religieuses est monté, ces dernières semaines, d’un cran. Plus précisément, le débat se cristallise autour de la «présence musulmane» en Europe, son rapport aux valeurs judéo-chrétiennes et à la démocratie occidentale.

    En tête, les partis politiques de l’extrême droite surenchérissent dans le mensonge, l’opprobre, l’amalgame et la manipulation de la présence musulmane face à la droite nationaliste, qui a compris l’effet racoleur dans les milieux populaires du débat sur l’identité nationale en période électorale et s’en saisit à son tour.

    Le débat est violent, dangereux et a fini par ne plus viser, au-dessus et par-dessus tout, que la seule présence des immigrés maghrébins et ceux qui ont pour foi l’islam.

    Cette comédie politique aux relents fascistes est amplifiée par les J.T des médias lourds et la presse à sensation et scandales. Les télés exposent la «souffrance» des femmes portant la burqua, le niqab et même le voile. Les journaux rapportent, quotidiennement, des faits divers de violences, vols et agressions sur de veilles personnes commis par des adolescents et jeunes immigrés. Jusqu’aux écoles qui, dans certains pays comme la France, sont devenues des bunkers sous surveillance des caméras vidéo, de policiers et gendarmes.

    Une image et un climat de guerre des sanctuaires du savoir de «nos enfants». Le battage médiatique est permanent. La société s’installe dans un climat de peur permanente. Pour rassurer leurs opinions prises dans le vertige de la peur, les pouvoirs politiques répondent par des actes, souvent à la limite de la légalité, pendant que ceux qui aspirent à la conquête du pouvoir, estiment que ces réponses sont insuffisantes.

    A l’approche d’échéances électorales, les actes et discours politiques redoublent, dans une enchère, immorale, de férocité et de violence. Les médias, pour des raisons d’audimat, s’y accrochent et amplifient parfois le discours avec une irresponsabilité inouïe.

    Heureusement que l’Europe dispose encore de bastions de résistance à cette fuite en avant de la classe politique dans son incapacité à répondre aux véritables problèmes économiques et sociaux que vivent leurs sociétés.

    Angoisses légitimes des populations face à la crise multidimensionnelle, fruit de l’ultralibéralisme et d’une mondialisation économique incontrôlable. Cette résistance se manifeste dans la société civile organisée (le monde associatif) et dans un autre temple du savoir, qui fait honneur à sa tradition : les universités.

    Oui, régulièrement, chaque jour, en France, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, au Canada, aux USA et ailleurs, des chercheurs, philosophes, écrivains, étudiants, journalistes, artistes… se rencontrent dans les universités, les sièges d’associations civiles, ils débattent et discutent des questions de l’immigration, de la présence musulmane, des minorités ethniques, religieuses, culturelles… exclues de la scène publique.

    Ce vaste mouvement «averti» active, bouge et prend des risques sans être… médiatisé, encouragé. Sans bénéficier de l’intérêt des médias, en particulier ceux dits «lourds».

    Ce boycott par les médias n’entame en rien la résistance de ce monde intense et foisonnant. Et pas seulement le boycott par les médias, puisque très rares sont les hommes politiques au pouvoir ou dans l’opposition qui y participent. L’un ne va pas sans l’autre : caméras de télé et personnages politiques en quête de promotion.

    C’est que ce monde du savoir et de la citoyenneté responsable qui échappe aux manipulations politiciennes promeut un discours différent. Il démontre l’absurdité du discours politique ambiant et replace les urgences de la modernité dans le contexte de la mondialisation envahissante (et inévitable à long terme).

    Il construit les paradigmes nouveaux et futurs d’interprétation de la démocratie, de la légalité, de l’égalité, de la justice de la… liberté. C’est un combat permanent contre le révisionnisme et les dangers de la soif du pouvoir pour le pouvoir. C’est un combat qui s’inscrit dans le sens du mouvement de l’histoire.

    Qui n’a pas remarqué que depuis que le président américain, Barack Obama, a décidé d’ouvrir le dialogue avec le monde musulman (discours du Caire, juin 2009), depuis son vœu de promouvoir le dialogue des civilisations contre celui de leur affrontement, depuis ses tentatives au profit d’une concertation multilatérale sur les grandes questions du monde contre l’unilatéralisme de son prédécesseur George Bush, l’Europe politique se recroqueville, se crispe et remet au goût du jour les questions identitaires, l’immigration…

    Dans la lancée, elle abandonne, peu à peu, sa solidarité sur le terrain aux Américains dans leur engagement contre les talibans d’Afghanistan. «Obama veut s’ouvrir au monde musulman, cela ne nous arrange pas, nous, Européens. L’islam nous fait peur» c’est le message du monde politique européen à Obama.

    Et Tout ce débat sur l’islam en Europe est porté sur la scène publique par une majorité de «spécialistes» qui ignore non seulement la très grande complexité et intensité du message coranique, mais ignore jusqu’à la culture, les us et coutumes du monde musulman, ignore… l’histoire du monde musulman et son rapport et apport à la civilisation universelle.

    M’hammedi Bouzina Med
    (Source : Lequotidien-oran.com)

    http://europeislam.wordpress.com/

    http://alainindependant.canalblog.com/archives/2010/03/18/17283681.html


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    Lundi 1 mars 2010



    El Andalous


    Je suis un Européen du Sud, pour moitié andalou, autant dire à demi-musulman. Je sais trop ce que notre vieux continent doit à l'islam espagnol, et d'abord le retour à la raison grecque. [...] Non seulement les musulmans d'Espagne ouvrirent à la raison un espace où Averroès, Avicenne et Maïmonide s'aventurèrent hardiment, ils furent également médecins, géographes, astronomes, historiens, mathématiciens, alchimistes et physiciens, architectes miraculeux, musiciens raffinés, jardiniers délicats, horticulteurs et artisans subtils. Durant près de cinq siècles, les califes et les émirs ont tenu école de tolérance, défendant les juifs, accueillant les chrétiens, cohabitation sans exemple en ces temps de fanatisme. Cet héritage, je fais plus que l'accepter, j'en tire fierté.


    Michel del Castillo


    18 Janvier 2002, extrait de
    Je suis un musulman,  
    Le Monde

    Al Andalus


    http://alainindependant.canalblog.com/archives/2010/02/28/17078825.html


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