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    Vendredi 23 octobre 2009

     

     




    Le « choc des civilisations » aura vécu
     18/03/2005

                Sous ses airs abscons, la thèse du « choc des civilisations » peut se résumer en une phrase : les conflits idéologiques font peu à peu place à des conflits entre civilisations, qui seraient une forme ultime de l’idée d’affrontement entre les peuples. Selon certains observateurs, l’heure de la fin des civilisations avait sonné avec les attentats du 11 septembre 2001. Notre hypothèse est que le fameux « choc des civilisations »* tant annoncé, prédit et craint n’a finalement pas eu lieu (* : expression inventée par Bernard Lewis – un universitaire anglais proche des milieux néo-conservateurs américains – et médiatisée par la thèse de Samuel P. Huntington dans " ? " Foreign Affairs vol. 72, no 3, 1993, pages 22 à 49). Pour Oussama Ben Laden, qui consulte à n’en pas douter notre site Internet depuis les grottes afghanes, c’est assurément triste à entendre. Pourtant, force est de constater que non seulement le n’a pas, loin de là, recueilli les suffrages des populations arabes du Globe, mais qu’en plus les civilisations musulmanes et occidentales n’ont que trop rarement compté autant de points communs. D’Alger à Bagdad en passant par Gaza, de New York à Madrid en passant par Bali, on a peur autant qu’on abhorre le terrorisme des Islamistes fondamentalistes. Décryptage, à travers un duo de questions-réponses, de la chute d’une thèse trop séduisante pour ne pas être suspecte.
     
     
     
    Comment se traduit cet atterrissage en douceur de l’idée d’un « choc des civilisations » ?
     
                Plusieurs éléments semblent indiquer la caducité de la thèse du « choc des civilisations ».
    Ainsi, l’aide américaine à l’Indonésie, le plus grand pays musulman de la planète, très touchée par la vague de du lendemain du dernier Noël (l’épicentre de la catastrophe se trouvait dans la région d’Aceh), si elle a été la plus ostentatoire (la VIIème Flotte a constitué le gros de l’intervention humanitaire internationale, faisant de l’ombre aux autorités indonésiennes complètement désorganisées et dépassées par les événements), a également été la plus importante. Et ce, même en rapportant les montants apportés au produit intérieur brut. Quand bien même ce geste serait le fruit d’une volonté politique, ce n’est pas exagérer que d’affirmer que l’argent achète tout, même l’amitié.
     
    Ont suivi les élections irakiennes, et la descente aux enfers des Sunnites qui, ne s’étant pas rendu aux urnes en masse, loin s’en faut, firent le ridicule score de deux pour cent, soit presque vingt-cinq fois moins que les Chiites qui cautionnent malgré eux la politique moyen-orientale des néo-conservateurs américains. On ne mesure peut-être pas totalement la portée de cet événement, mais les Chiites ont réhabilité la politique américaine en Irak contre la minorité sunnite de Saddam Hussein. Il est étrange d’asséner une telle formule alors que l’Irak est plus que jamais un bourbier sanglant, mais le peuple irakien s’est malgré lui et probablement involontairement réconcilié avec les Etats-Unis…
     
    La tendance de fond est toutefois révélée par Gilles Kepel (Fitna, guerre au cœur de l’Islam, Gallimard, 2004). La , c’est le pouvoir de séduction des femmes sur les hommes, la victoire de la diplomatie contre la force, de la charité contre les armes, du contre le . Les exemples illustrant la victoire de la sur le ne manquent pas : les pays de l’Union Européenne, dans un effort commun soutenu par les Etats-Unis qui viennent de lever l’interdiction d’entrée dans l’Organisation Mondiale du Commerce de l’Iran, commencent finalement à contenir si ce n’est infléchir la politique d’armement nucléaire de l’Iran ; il est de plus banalité d’asséner le refrain selon lequel jamais depuis Oslo Palestiniens et Israéliens n’ont été si proche d’un accord de paix ; c’est la rue et les instances multilatérales qui poussent au retrait des troupes syriennes du Liban ; l’Egypte se prépare à un jeu de chaises musicales dans les sphères du pouvoir (cf. un éditorial  intitulé
    « Fin de Règne au Caire » ) ; l’Arabie Saoudite augmente unilatéralement la production de barils pour soulager les économies occidentales ; enfin, c’est par le dialogue qu’on obtient de sanguinaires coupeurs de têtes la libération de journalistes européens.
     
     
    Comment la collision entre les plaques tectoniques culturelles a-t-elle été évitée ?
     
                Un extraordinaire concours de circonstances est venu parachever la chute de la thèse « huntingtonienne ». Pourtant, nombre d’universitaires (dont le géopolitologue Pascal Boniface, dans un article intitulé « Le choc des civilisations et le conflit israélo-palestinien », publié dans La revue internationale et stratégique (Printemps 2004, N°53), et dont vous trouverez une analyse  
    en cliquant ici), avaient confiné la thèse du « choc des civilisations » à une interprétation pessimiste. Intellectuellement séduisante, la thèse de Samuel P. Huntington relève d’une prophétie auto-réalisatrice (à force d’en parler, les événements tant redoutés arrivent) et de paroles angéliques – dont on pourrait cyniquement écrire que cet article s’y rapporte - qui écartent l’hypothèse d’un conflit alors que les dangers étaient réels. Arguons du fait qu’on pourrait cyniquement classer le présent éditorial dans cette dernière catégorie, encore que…
     

    Les dangers étaient en effet réels : Gilles Kepel ( nous rappelle les thèses du docteur égyptien Ayman Al-Zawahiri (dont le manifeste intitulé « Cavaliers sous la bannière du Prophète » circule sur Internet depuis l’automne 2001), conscience d’Al-Qaeda en même temps que parrain spirituel d’Oussama Ben Laden. Pour Ayman Al-Zawahiri, les de la première heure ont échoué, dans les années quatre-vingt-dix, dans leur tentative de mobiliser les « masses musulmanes » contre leurs « ennemis proches », les dirigeants arabes anti-islamistes. Dans l’analyse proposée, la raison en incombe à l’absence de cause unificatrice telles que, par exemple, l’Intifada dans les Territoires palestiniens et en Israël.  rajouterait une seconde raison à cette première défaite de la contamination fondamentaliste : l’absence de vecteurs puissants et trans-nationaux des causes de soulèvement, réelles ou fictives, telles que peuvent l’être aujourd’hui les chaînes par satellite arabes. Deuxième tentative donc, en présence d’une rhétorique fédératrice et largement mythifiée (le conflit israélo-palestinien) et de ses rampes de diffusion (Al-Jazeera, Al-Manar, etc.) : le discours change et il s’agit désormais, grâce aux réseaux de terroristes organisés et éduqués dans les plus grandes institutions arabes et occidentales, de frapper les « ennemis lointains », les Etats-Unis…Pour Ayman Al-Zawahiri, qui joue les Cassandre, le temps du est cette fois-ci venu.


     
    Mais loin s’en faut : on assiste en ce moment à la faillite morale de l’entreprise d’Oussama Ben Laden. Le 11 septembre 2001 devait être le cri de ralliement du monde musulman contre l’Occident, ou monde judéo-chrétien ; le début d’un mondial, il n’en fut rien. Si ce n’est que le terrorisme est marginalisé. Les attentats de Casablanca, le 11 Septembre marocain, ont été très significatifs : ils ont détourné le peuple des meneurs islamistes antisémites et anti-occidentaux. Oussama Ben Laden a échoué dans sa tentative de soulèvement global. Pour la prédicatrice islamophobe Oriana Fallaci, « il est contraire à la raison de distinguer un islam tolérant d’un islam intégriste : il n’existe qu’un seul islam, auquel il faut faire barrage » (La Rage et l’Orgueil, éditions du Rocher). N’en déplaise à Oriana Fallaci, qui confère à l’Islam une unicité simplificatrice en occultant les facultés qu’ont les confessions religieuses à se réformer, la distinction entre Islam et islamisme a bien lieu d’être : on craint autant les fondamentalistes à Moscou qu’à Casablanca, et les Musulmans se sont nettement et massivement désolidarisés d’Al-Qaeda au lendemain des attaques du 11 septembre 2001. Par généralisation, on peut sans sourciller clamer haut et fort, et une bonne fois pour toutes, que les Musulmans partagent plus de valeurs avec les Occidentaux qu’avec les Islamistes. Allons même un peu plus loin : distinguer l’Islam de l’islamisme est aujourd’hui une nécessité pour qui veut comprendre le monde sans attiser les ressentiments.
    Samuel P. Huntington soulève un autre point : si le « choc des civilisations » devait concerner la civilisation musulmane, en pleine expansion, contestant la civilisation occidentale, « les Occidentaux doivent admettre que leur civilisation est unique mais pas universelle et s’unir pour lui redonner vigueur contre les civilisations non-occidentales » (Le Choc des Civilisations, Odile Jacob, 2000, p.18) - ce qui est chose faite, les Etats-Unis ayant de fait fomenté en Irak, comme c’est déjà le cas dans l’Iran d’Ali Sistani, un embryon de théocratie chiite islamique mais pas islamiste, pour peu que les foyers de la terreur soient endigués efficacement. Reste ensuite à déterminer si les Chiites ne tentent pas de se poser en alliés des Américains dans un premier temps pour ensuite mieux s’en débarrasser, en déclarant officiellement l’instauration d’une République islamique. Quoiqu’il en soit, toute tentative d’acculturation a semble-t-il été abandonnée.
     
    Zones occidentales et musulmanes commencent pourtant à s’entremêler, s’observer, s’étudier – et vont même jusqu’à prendre comme modèle l’autre (l’exemple du miracle économique Dubaï, une cité avant-gardiste sortie du désert, est à ce titre édifiant). La Malaisie s’est affirmée sur un modèle de développement tout à fait original, et en tous cas plutôt efficace, en conservant sa tradition musulmane tout en jouant du levier économique chinois ; grande première dans l’histoire du monde arabe, on a vu se tenir le 9 janvier 2005 des élections authentiquement démocratiques dans ce qui sera un jour l’Etat de Palestine. Enfin, c’en est peut-être l’exemple le plus topique bien que Mein Kampf s’y vende comme des petits pains, la Turquie, autrefois rempart du libéralisme contre le socialisme sans être un pays libéral, sera le rempart de l’Occident contre l’islamisme sans être un pays occidental dès son intégration à l’Union Européenne. « Ainsi, le député européen Michel Rocard voit dans l'adhésion de la Turquie à l'Union un moyen de prévenir la guerre entre le monde musulman et l'Europe post-chrétienne... comme si l'on devait subordonner un projet à très long terme (l'union de l'Europe) au combat contre un péril conjoncturel (le terrorisme moyen-oriental). » nous rappelle André Larané dans un éditorial de la revue de référence en Histoire, la bien nommée Hérodote (
    cliquez ici pour lire « L’enjeu turc »). Sur la même longueur d’onde, Jean-Pierre Raffarin ajoutait en première page du quotidien Le Monde le 5 mars 2005 la chose suivante : « le monde a besoin de l’Europe parce qu’elle est le rempart contre le choc des civilisations ». Adieu, « choc des civilisations »…
     
     
     
     
                Reste à refermer définitivement la plaie pour s’attaquer au prochain problème. Pour ce faire, rien de plus efficace que de rendre caduque la prétendue cause fédératrice d’un global, à savoir le conflit israélo-palestinien, et par conséquent ses produits dérivés à savoir l’antisionisme et la dénonciation systématique d’un prétendu axe américano-sioniste responsable de tous les maux. Les choses vont dans le bon sens : le désamorçage du conflit israélo-palestinien est en cours, et l’idée d’une paix fait définitivement, étant données la reprise du dialogue et les nombreuses avancées diplomatiques entre les deux camps, son chemin depuis la mort de Yasser Arafat ; l’existence d’un l’axe américano-sioniste, objet de quasiment toutes les diatribes haineuses incluant Israël et les Etats-Unis, est de plus en plus – et à raison - relativisée. C’est normal : George Walker Bush agit dorénavant dans une logique de second mandat, sans plus aucune préoccupation électoraliste, et sa nouvelle Secrétaire d’Etat Condoleeza Rice n’hésite plus à affirmer que « des décisions dures attendent Israël sur la route à la paix » (6 février 2005 - Herb Keinon et Greer Fay Cashman, - Jerusalem Post). Ce qui réduit de fait le champ de critiques gratuites des faiseurs d’opinions dangereuses. Encore que tous ces efforts et progrès ne sont pas vraiment relayés par les médias arabes dont la réforme vers plus de tolérance et d’ouverture apparaît, pour l’intérêt de la Planète, comme une nécessité absolue afin de confiner une bonne fois pour toutes les thèses « huntingtoniennes » aux archives des vaticinations géopolitiques anxieuses.

     
     

    Jeremy Fain

    http://www.afidora.com/content/view/12/42/

     


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